L’œuvre littéraire

Toute l’œuvre littéraire d’Henri Pourrat est habitée par la nature. Une invitation à "Toucher Terre"

Les chemins sablonneux s’enfoncent de salle obscure en salle obscure, parmi la mousse et la fougère, sous ces grandes rames balançantes. Les grappes de sureau rouge tirent l’œil, ou bien quelque pied de digitale pourprée. Il y a des endroits où le soleil semble n’avoir point percé depuis des mondes d’années […] Tout remue, mais remue à peine. Tout est silence, mais c’est un silence traversé de vingt bruits menus ! Une bête qui se sauve, un souffle de vent dans la feuille des houx, une fontaine qui s’égoutte derrière la roche. (Gaspard des Montagnes)

H. pourrat et ses enfants dans les épilobes

Toute l’œuvre d’Henri Pourrat, essais, contes et romans, est habitée par la nature. Pourrat raconte les choses vertes, « le grand monde de l’herbe et de la feuille », les paysages, les senteurs, les bourrasques de vent, le soleil, les orages et les nuits mystérieuses. Il connaît le nom de chaque plante, chaque animal, chaque insecte. Dans Gaspard des Montagnes, cité à plusieurs reprises, on ne compte pas moins d’une centaine de végétaux et autant d’animaux nommés et placés dans leur environnement. Le lecteur peut les voir, les sentir, les observer comme s’il y était.

Chez Henri Pourrat, la nature est habitée. Habitée par les hommes qui sèment, cultivent, élaguent, moissonnent, … la nature qui les fait vivre et qui, par le travail leur donne de se réaliser. Habitée aussi par le génie de la Vie… Il est, pour Pourrat, l’œuvre de Dieu, faite de merveilles, la Création comme une promesse. Nature et surnaturel se mêlent.

Ses promenades quotidiennes dans la campagne soignent l’homme et nourrissent l’écrivain. Au contact de la nature, il touche à la beauté de la vie. Il fait « alliance » avec la vie. Il la regarde, la considère au-dessus de tout et saisit l’au-delà des choses, des lieux, des êtres. Ses observations le poussent à tout mesurer à la dimension de la planète et de l’histoire de l’humanité. La nature est, pour lui, ce qui est partagée par tous les êtres vivants, ce qui les unit, ce qui traverse les siècles.

La campagne, c’est l’antiquité contemporaine. (Les Jardins Sauvages, 1923)

Ici et là, même façon de tirer parti de ce qui est fourni par la terre, même goût de l’imagination et des cadences, même génie. […] Ainsi de son coin, le paysan est en face de l’univers. (Vent de Mars, Prix Goncourt 1941)

Pour Pourrat, l’avenir de l’humanité et la paix sur Terre ne seront assurés que par le maintien d’une certaine intimité, d’une amitié de l’homme avec la nature et des hommes entre eux. A l’heure où l’industrie prend le pas sur la vielle civilisation paysanne, Henri Pourrat, en visionnaire lucide, sent bien que l’homme risque d’oublier l’essentiel : la connaissance, le respect et l’amour de la nature et de la vie. Aussi nous invite-t-il à « Toucher Terre ».

Le Trésor des Contes, une œuvre unique

Henri Pourrat au travail dans son bureau

Contes de fées, de sorcières, d’horreur et de brigands, contes à rire, Le Trésor des Contes d’Henri Pourrat comprend un millier de contes. C’est une œuvre unique, le travail d’une vie.

Dès 1908, Henri Pourrat s’intéresse aux expressions, aux tournures locales et à l’accent du terroir. En 1911, il entreprend une quête systématique des contes, comptines, dictons, remarques, chansons populaires qui va durer près de 50 ans. Au départ, sans grande expérience, il est guidé par Régis Michalias (un ambertois poète et défenseur de la langue d’oc), puis il demande conseil à Arnold Van Gennep, folkloriste reconnu. Progressivement, il forge sa propre méthode de collecte, s’éloignant de la transcription rigoureuse et scientifique, il crée un style littéraire, une langue, sa langue qui « donne à entendre ». Pour lui, le conte n’est pas objet d’étude mais parole vivante et universelle.
Henri Pourrat livre lui-même sa démarche : d’abord une relation chaleureuse et respectueuse avec les conteuses, et puis l’écoute. "N’écris pas devant elles, d’abord, cela les gêne, elles ne savent plus raconter. Écoute simplement. […] Note surtout les expressions à retenir, et ces espèces de phrases chantantes, qui apparaissent dans les contes."
Enfin, l’écriture : "Reste le plus près possible du parlage de la conteuse […]. Mettras-tu sur la page le ton de la conteuse et son geste, et surtout tout ce qu’il y a autour de ses mots de vieille vie de campagne ? Comment feras-tu pour rendre à ces mots-là une efficace qu’ils ont, parlés, et qu’écrits ils n’ont plus. Puisse-t-on, lisant ces contes, désirer de les entendre dans la montagne ! […] C’est qu’ils sont rire et liberté entière de l’imagination." (Introduction des Contes de la Bûcheronne)

"Il est à croire qu’ils viennent de partout, furent inventés par et pour tout le monde. […] Les contes, surtout ceux qui ont le plus à nous dire, disent simplement ceci : que pour les Fils de la Terre, il serait grand temps d’être heureux."
(Introduction traduite pour l’édition anglaise du Trésor des Contes)

La vieille Marie contait, contait"La vieille Marie contait et contait..."
© Dessin d’Henri Pourrat dans le manuscrit de Gaspard des Montagnes

Bien avant Le Trésor des contes, Henri Pourrat écrit une « histoire à cent histoires » : Gaspard des Montagnes.
Bâti sur un conte traditionnel, le conte de la main coupée, le roman fait appel à de nombreux autres contes. Ainsi Pourrat a su inventer une nouvelle écriture des contes. Non conventionnel, le style Pourrat choque certains folkloristes attachés à des transcriptions mot à mot des récits de conteurs. Ceux-là vont jusqu’à le soupçonner de n’avoir jamais fait ce travail de collecte et de s’être contenté de contes et histoires déjà publiés. Depuis, les travaux de Bernadette Bricout, professeur à l’université Paris Diderot, leur ont donné tort. Elle a enquêté sur les sources du Trésor, près d’un demi-siècle de collecte (de 1908 à 1953) : 353 textes narratifs datés et localisés avec précision, une centaine de formulettes, plus de 2 000 proverbes, 500 chansons populaires, 200 informateurs, parmi lesquels des religieux comme l’Abbé Marcel Coste et des instituteurs complices lui ayant remis 375 copies d’écoliers (contes, légendes ou récits).


Henri Pourrat en promenade, à la "chasse aux contes"...
© Photographie de Jean-Gabriel Séruzier

Biographie

Textes d’Annette Lauras, fille d’Henri Pourrat et Isabelle Piat, consultante
Illustrations de Fabian Grégoire, aquarelles sur papier d’Ambert

Henri Pourrat, grand lecteur

Dès son tout jeune âge Henri Pourrat pratique la lecture. Sans doute a-t-il commencé par les livres qui lui tombaient sous la main, ceux du grenier (...)

Une vie de rencontres et d’amitiés

« […] Est écrite pour toujours la raison d’être de l’homme : ce n’est pas de s’emplir la panse, ou d’étriper le voisin, d’établir sa domination sur les (...)

Ni hommes, ni femmes, chantent-ils, tous Auvergnats. De la sorte, quand on songe aux travers et défauts propres à chaque sexe,
on est en droit de penser que l’Auvergnat seul pourrait préparer l’avènement d’une humanité supérieure. (Ceux d’Auvergne, 1928)